ARTICLES CINÉMA  •  30 juin 2018

Les Mille et une astuces de producteurs pour ne pas vous payer

Bienvenue dans la vraie vie, scénaristes ! Bienvenue dans le vrai monde des auteurs ! Au cas où, laissez-moi vous rappeler cette loi du métier qui veut que lorsque vous travaillez pour un producteur — votre patron naturel —, celui-ci va tout faire pour obtenir de vous un travail sans jamais le payer.

Si, si…

Comment ? En vérité, il n’a pas besoin d’user de mille et une astuces pour accomplir ce prodige qui défie toutes les codes du travail, une seule lui suffit : les belles promesses.

Les belles promesses.

En effet, avec un auteur, les belles promesses suffisent. L’auteur, même expérimenté, reste d’une naïveté fantastique. Qu’est-ce qu’un auteur, un scénariste, si ce n’est un grand rêveur pas très intelligent, pas très malin, qui passe le plus clair de son temps à rêver ? le producteur le sait et sait en tirer profit. Il sait le bercer d’illusions, le charmer de belles promesses. Et des promesses, il en a tout un éventail.

Quelques exemples ?

Par exemple, il ne peut pas payer l’auteur aujourd’hui, mais dès que le projet sera accepté par les chaines, l’auteur sera évidemment aussitôt remboursé de ses efforts, avec une petite rallonge en sus ! Et le producteur d’assurer l’auteur que cette acceptation par les chaines sera pure formalité, son projet est tellement ex-tra-or-di-naire ! L’auteur, ce grand naïf un peu con certain de son génie, boit ses paroles.

Attendez ! Ça n’est qu’un début !

Ben oui, ça n’est que le début d’une longue, très longue, aventure ! Parce que l’auteur est tellement talentueux — le producteur ne cesse de lui répéter… —, cette aventure ne pourra s’achever sans passer par Cannes ou Hollywood. Et l’auteur, ce grand naïf un peu con qui n’a jamais lu “Le Corbeau et le renard”, savoure sa chance, certain d’avoir enfin trouvé quelqu’un qui comprenait son génie et mesurait son incroyable potentiel. Sa prof de français avait bien raison de l’encourager !

Un peu de rêve et beaucoup de copinage !

Pour ajouter une couche de rêve, le producteur va tout faire pour “copiner” avec l’auteur. Il va tout faire pour devenir son ami, son plus grand ami même, pour déplacer la relation du plan des affaires vers le plan de l’affect. Et l’auteur, ce grand naïf, un peu con et tellement sensible, ne peut que se flatter de cette relation qu’il croit privilégiée. Papa m’aime.

Malheureusement, le projet ne se signe pas — ce qui est le destin naturel d’un projet, il faut le savoir — et l’auteur a travaillé pour des prunes. Non, même pas pour des prunes : pour rien. Dans le meilleur des cas, le producteur rassure son ami l’auteur en invoquant les lois du marché, la météo et l’âge du capitaine. Ou il remet en cause un petit coin du synopsis qu’il avait toujours pensé un peu critique — sans en toucher mot à l’auteur, bien sûr. Dans le pire des cas, il a tout bonnement perdu le numéro de téléphone de l’auteur et se trouve en réunion…

Mais tentons de prendre de la hauteur.

Et de comprendre comment fonctionne un producteur.

Un producteur — particulièrement à la TV française — est un petit homme généralement assez laid qui doit régulièrement se présenter devant ses maitres, les diffuseurs, avec un certain nombre de projets en main — nous allons dire une x-itude de projets. Dans l’espoir de lui en vendre au moins un.

Pourquoi x projets ? Pour une raison très simple : le diffuseur ne s’y connaissant pas plus que le producteur en matière d’histoire et de succès, son choix relève de la chance, de l’humeur du moment, du dernier score d’audimat et de son état stomacal. Pour augmenter ses chances, c’est statistique — il l’a appris en école de commerce, le producteur n’a d’autres moyens que d’arriver avec ses x projets. En serrant les fesses, si le miracle se produit, un projet parmi les x recevra peut-être l’assentiment de ses maitres.

Rewind.

Avant de se retrouver face aux chaines, le producteur se trouve donc devant cette problématique simple : il doit parvenir à réunir x projets — dont la majorité, il le sait d’avance, ne verront jamais le jour — et cela sans dépenser le moindre centime d’euro. Faut pas être fou non plus. Comment, d’ailleurs, pourrait-il dépenser un seul centime puisque c’est bien connu : un producteur n’est pas une personne qui a de l’argent, c’est une personne qui sait en trouver — reconnaissons-lui ce talent.

Mais le monde étant merveilleusement pensé, les auteurs sont là, tout autour du producteur, avec leurs grands rêves, leur grande naïveté et leur grand besoin un peu con d’affection et de reconnaissance. Papa, dis-moi que je ne suis pas aussi minable que tu me le fais sentir.

Pour obtenir ses dix projets, le producteur n’a plus qu’à les faire rêver, sur la base de quelques mensonges bien sentis et éprouvés. Et le tour est joué.

Moralité, jeunes auteurs, jeunes scénaristes rêveurs et un peu cons, si vous ne voulez pas vous nourrir de belles promesses, apprenez le plus tôt possible à rester sourd aux sirènes des producteurs. Règle un : un producteur ne sera jamais votre ami. Règle deux : tout travail mérite salaire. Rappelez-lui au besoin, faite-lui comprendre que s’il doit obtenir de vous un travail, vous ne survivrez pas de ses belles louanges. S’il croit vraiment en vous, alors il doit être capable de faire un geste. Vous êtes capable de concession et d’adapter votre gourmandise à votre peu d’expérience et de notoriété, mais un geste est un geste.