ARTICLES CINÉMA  •  14 juillet 2018

L’Histoire du cinéma tue l’histoire du cinéma

C’est un triste constat : la quantité de films et de séries produits aujourd’hui rend impossible non seulement de voir tout ce qui se fait mais encore moins de voir et revoir ce que l’industrie du cinéma a produit d’important jusqu’à ce jour. Tant de chefs d’œuvre qui n’existent plus dans la culture populaire qu’à l’état de titre. On connait peut-être, dans les jeunes générations, la locution « Citizen Kane », mais qui parmi elles l’ont vu ? Qui parmi elles ont visionné UN TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR, AUTANT EN EMPORTE LE VENT ou les films d’Akira Kurosama ?

Auparavant, en littérature ou en cinéma, le peu d’objets produits autorisait le voir et le revoir, permettait d’entretenir le vivier d’œuvres qui chaque année s’augmentait de quelques rares chefs d’œuvre, essentiels. Ils fabriquaient l’histoire patiemment, et cette histoire pouvait être entretenue, être vivante. L’histoire du cinéma existe encore, mais qui l’entretient aujourd’hui ?

L’histoire du cinéma est moribonde. Et ses assassins sont ceux-là même qui l’alimentent, ils s’appellent Universal, Metro Goldwyn Mayer ou Dreamworks.

Pire encore, dans notre société de l’obsolescence et des mises à jour — société admirable en bien des points —, on regarde ce qui appartient à l’histoire avec une sorte de scepticisme, comme ayant un goût d’inachevé, de non fonctionnel, d’in-efficient et de bancal. En 2018, un film du début du millénaire, disons de 2002, est déjà vieux, comprendre : obsolète, dépassé, pas à jour, périmé, donc… inutile. Alors qu’en est-il, imaginez, d’une œuvre du millénaire précédent (oui, je parle bien des années 1900 à 1999) !

Erin Brockovich et ses fabuleux personnages sont allègrement jetés aux orties.

C’est ainsi que le film, en tant qu’objet de consommation, est ramené au rang de pâtes — qui ? à part quelques spécialistes, connait l’histoire des pâtes ? — au rang de casseroles — qui ? idem… — ou de papier-toilette (nonobstant mon respect pour ces différents produits, leur fonctionnalité et… leur histoire).

Peu m’importe qu’un film soit un objet de consommation, l’art n’a jamais produit que ça (chacun définira les connotations qu’il pose sur le terme « consommer »). L’homme courant a toujours eu d’autres chats à fouetter et il a toujours eu raison. Mais que l’histoire meure, que l’histoire soit assassinée, c’est dommage.

Aussi, aspirant auteur, apprenti scénariste, si tu veux sauver l’histoire du 7ème art et apprendre réellement ton métier, ne te laisse pas entrainer dans cette spirale dévorante (*) de la grande consommation ! Apprends à choisir, à te restreindre, et laisse-toi surtout un temps pour découvrir les œuvres du passé, quand bien même elles te semblent dater de la préhistoire. Fais-le pour ton plaisir d’abord et pour ouvrir tes sens à d’autres façons de voir, de respirer, d’autres façons de concevoir aussi.

(*) Pour ce qui est de la spirale dévorante, comme j’aime à le répéter, il est infiniment plus profitable à l’aspirant auteur d’étudier vingt films en profondeur que d’en “mater” deux mille une seule fois. Si, parmi ces vingt films, on peut s’en choisir dix du passé, le profit peut être considérable. Les dix autres peuvent être piochés sans crainte dans les œuvres contemporaines — c’est-à-dire dans les œuvres de ces dix dernières années… — dont la qualité n’a rien à envier aux œuvres du passé — j’aurais même envie d’ajouter : au contraire, car la qualité de la narration ou du filmage n’a cessé d’augmenter et l’on ne peut qu’être impressionné par le grand nombre d’œuvres d’aujourd’hui qui jouissent d’une haute tenue artistique, au niveau de l’écriture comme au niveau de la réalisation, quoi qu’en disent ou en pensent ceux qui ne jurent que par les œuvres du passé — qu’on me comprenne bien : je ne suis pas de ceux-là.

En soufflant ainsi sur les braises des œuvres oubliées, les auteurs seront, aux côtés de quelques amoureux passionnés, les derniers garants d’une histoire du cinéma et de la littérature !

Alors n’attendez pas un instant, pas une minute, pas un jour de plus pour voir ou revoir un ERIN BROKOVICH (Steven Soderbergh) de 2000, un IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE (Sergio Leone) de 1984, un LE CERCLE ROUGE (Jean-Pierre Melville) de 1970, un CHARADE (Stanley Donen) de 1963, un EAST OF EDEN (Elia Kazan) de 1955, un SUNSET BOULEVARD (Billy Wilder) de 1950, ou même, soyons fous, un ADAM’S RIB (George Cukor) de 1949. Et tant d’autres œuvres encore, même plus lointaines !